Raymond et ses poules (Guillaume de Tonquédec)

Roxane, le premier long métrage de Mélanie Auffret, avec Guillaume de Tonquédec, Léa Drucker et Lionel Abelanski sort en salle le 12 juin prochain. Il est présenté en avant-première le 27 mai à 20h30 au CGR Angoulême en présence de l’équipe du film.

Avant-première de Roxane à Angoulême.

Échange avec cet acteur révélé au public avec le téléfilm Fais pas ci, fais pas ça, dont l’image d’acteur parisien tranche radicalement avec le personnage qu’il campe pour l’occasion : un agriculteur romantique plus à l’aise avec ses poules.

Entretien avec Guillaume de Tonquédec

Raymond et ses poules (Guillaume de Tonquédec)
Raymond et ses poules (Guillaume de Tonquédec)

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce projet ?

C’est toujours excitant de lire le scénario d’un premier film, surtout quand il est écrit de la main du réalisateur. Mais ici, il s’agissait en plus d’une femme, jeune, culotée, dynamique… et bretonne ! Il n’en fallait pas plus pour me séduire.

En quoi l’histoire qu’elle voulait raconter vous touchait ?

C’est un conte poétique. Cet homme taiseux qui vibre en secret pour la littérature est émouvant. C’est un homme plus à l’aise avec ses animaux qu’avec l’espèce humaine. Raymond a cette passion secrète, il a besoin de déclamer des vers mais il s’adresse à ses poules car il sait qu’elles seules ne le jugeront pas. Ce complexe lié au fait qu’il n’ait pas fait d’études, ce sentiment de ne pas être légitime face à la culture, c’est touchant mais quand on sait que cette démarche est inspirée d’une histoire vraie, cela devient bouleversant. Au début, Raymond cache cette passion comme on cacherait une maîtresse ! L’idée de lui faire faire son coming out littéraire m’a paru à la fois très drôle et très émouvant car cela devient un parcours initiatique. Pour sauver son exploitation, il devra se mettre à nu, au sens fort du terme : face à sa femme, ses enfants, ses amis, son entourage professionnel, et même le monde entier puisqu’il va passer sur Youtube. Il va s’en trouver changé car en assumant son amour du théâtre, il s’acceptera lui-même. C’est là où le film atteint une dimension universelle car tout le monde peut s’identifier à cet homme qui va se battre pour sauver ceux qu’il aime.

En quoi ce personnage intéressait l’acteur que vous êtes ?

Ayant eu pas mal de difficultés à apprendre à lire et à écrire, j’ai moi-même eu un accès laborieux à la littérature. J’étais donc touché par la résonnance qu’il y avait entre le personnage et moi.

Et puis avec ce film, il y avait beaucoup de défis à relever. Tout d’abord, c’était un premier film et je ne savais pas comment allait travailler Mélanie : comme nous n’avions aucune référence, il fallait fonctionner à l’instinct et au coup de cœur. Ensuite, je devais jouer avec une poule et je savais que contrairement à un acteur, un animal est toujours juste donc il faudrait se débrouiller pour être bon en même temps qu’elle ! Enfin, sur le papier, ce personnage était dessiné de nombreuses couleurs et c’était l’occasion de montrer un visage différent, d’aborder des choses nouvelles dans l’émotion ou la naïveté.

Avez-vous dû aller chercher votre « ruralité » pour incarner cet agriculteur ?

C’était un des challenges car à force d’incarner des personnages citadins, j’étais conscient d’avoir l’étiquette de l’acteur parisien. Ce n’est pas comme ça que je me vois mais je savais qu’il faudrait lutter contre les a priori et l’image que je peux dégager.

Cela fait partie du métier et j’étais d’autant plus content de me lancer ce défi qu’au fond de moi, je savais que c’était possible. Pour éviter que l’on dise « Ah c’est Guillaume de Tonquédec déguisé en agriculteur », il fallait être crédible dès la première image, que le côté paysan soit tangible et qu’on puisse le ressentir à l’écran. Le spectateur devait être embarqué par le personnage et non pas par un acteur qui fait une composition.

Cela commence par le look. Comment avez-vous travaillé celui de Raymond ?

Mélanie m’avait demandé de prendre un peu de poids, ou en tout cas de ne pas en perdre, ce qui était plutôt intéressant pour le personnage. Pour arrondir davantage mon visage, Noa Yehonatan, la coiffeuse, a travaillé sur ma pilosité : une coupe de cheveux un peu longue, une barbe de quelques jours et une moustache.

Concernant le maquillage, Suzel Bertrand a fait le contraire de d’habitude puisqu’au lieu de masquer les défauts de la peau, elle les a accentués. Pour montrer que cet homme travaille dehors toute l’année, elle a évité le fond de teint, fait ressortir mes traits de fatigue et accentué mes rougeurs. Par ailleurs, mes ongles devaient être sales et on a un peu bruni mes mains pour montrer qu’elles avaient souvent pris le soleil et travaillé la terre.

En ce qui concerne le costume, nous trouvions intéressant de faire de la combinaison de travail le seul costume de Raymond. Ajoutée aux bottes qui imposent une démarche lente, lourde, ancrée dans le sol, elle me donnait un côté très terrien. Ce costume n’est pas anodin, c’est pourquoi le film s’ouvre sur cette scène où l’on voit Raymond se préparer en enfilant sa combinaison et en passant ses bottes. C’est le rituel par lequel il commence sa journée depuis qu’il a repris l’exploitation de ses parents, à 16 ans.

Finalement, les rares fois où il ne porte pas ce bleu de travail, cela marque un moment important. Il y a par exemple ce rendez-vous à la banque où il doit réclamer un prêt auprès de sa propre femme : avec sa petite veste et sa chemise, tout à coup, il bascule dans un autre univers et devient presque un autre homme.

Tout cela aide énormément car une fois que tout est défini, il n’y a plus qu’à « entrer » dans le costume de son personnage et à dire ses mots. Le corps, la voix se mettent alors en place presque naturellement.

Vous avez également effectué un stage agricole pour vous préparer. Qu’y avez-vous appris ?

Pendant cette semaine de stage intensif, j’ai appris certains gestes, notamment avec les bêtes. Dès le premier soir, quelques heures après ma descente du train, j’ai été réquisitionné pour participer à « un départ de poules » : j’ai enfilé une combinaison et tenté d’attraper des poules pour les mettre dans des cages et charger les camions. J’ai tout de suite aimé cela. Cela m’a permis de sentir physiquement et charnellement les choses. Mais au contact des agriculteurs, avec qui j’ai pu parler de tout et de rien, j’ai surtout compris des choses sur ces hommes et ces femmes entièrement dévoués à leurs exploitations qui ne connaissent ni les vacances ni les week-ends. En tant que citadin, je n’avais pas saisi l’attachement qu’ils ont pour leur terre et l’amour qu’ils ont pour leurs animaux. J’ai aussi mieux compris le désespoir dans lequel ils peuvent se retrouver quand leur exploitation est en péril car en perdant leur ferme, ils perdent tout : leur travail, leur héritage et leur raison de vivre. A une époque où l’on déplore souvent la perte de valeurs et de repères, ces gens-là ont beaucoup à nous apprendre.

Les agriculteurs se livraient-ils facilement avec vous ?

Il y a une pudeur chez les bretons que je connais bien : ils sont instinctifs et s’ils ne vous sentent pas, ils ne se livreront jamais. Mais dans le cas contraire, ce sont des gens qui ne manqueront pas de vous aider. C’est ce qui s’est passé, avec moi, mais aussi avec toute l’équipe car beaucoup ont mis la main à la pâte pour faire exister ce projet. Que ce soit pour trouver des décors, amener des animaux, etc. Mélanie étant une enfant du pays, ils voulaient l’aider à décrire le plus fidèlement possible ce milieu d’où elle vient.

Comment s’est passée votre collaboration avec Léa Drucker ?

Je connais Léa depuis mon premier film, TABLEAU D’HONNEUR, de Charles Nemes, en 1992, car elle y jouait mon amoureuse ! Et juste avant ROXANE, nous nous sommes retrouvés sur les planches pour jouer La vraie vie, la pièce de Fabrice Roger-Lacan. Venant tous les deux du théâtre, nous partageons le même goût du travail autour du personnage, de l’écriture, des mots et avons développé la même exigence.

Dans le couple que nous formons ici, c’est elle qui porte la culotte. Elle est la plus forte des deux et soutient son mari car elle comprend bien qu’il est en train de perdre son exploitation et perdre pied. On sent qu’il y a de l’amour entre eux, un lien très fort à la famille, aux enfants, à la transmission mais ils ne sont pas dans la démonstration. Pour trouver le ton juste, nous avons beaucoup discuté avec Léa, nous demandant s’ils se prenaient parfois dans les bras ou s’embrassaient devant les enfants. Il y a de toute façon beaucoup de pudeur entre eux, une pudeur paysanne mêlée au secret.

Vous connaissez aussi Lionel Abelanski depuis des années. En quoi votre amitié était-elle un atout ?

Notre amitié, notre respect et notre admiration mutuels nous ont aidé à jouer le compagnonnage « J’étais touché par la résonnance qu’il y avait entre le personnage et moi » amical, fraternel entre Raymond et son beau- frère Poupou. Nous nous connaissons depuis le Cours Florent, nous avions joué ensemble au théâtre dans Un Dîner d’adieu et, dans ce film, il est particulièrement bluffant. Dans le rôle de Poupou, je le trouve plus touchant, authentique et drôle que jamais. Il y a quelque chose de très sincère dans ce qu’il raconte ici.

Vous partagez néanmoins la plupart de vos scènes avec une poule. Quel lien peut-on avoir avec un partenaire de ce genre ?

N’ayant d’autre choix que de bien m’entendre avec mes partenaires à plumes, le stage agricole a été essentiel car il m’a appris à approcher une poule, à la prendre dans mes bras et à lui parler sereinement. On ne peut pas tricher avec un animal.

Pour les scènes où il y avait six ou sept mille poules, il ne fallait pas faire n’importe quoi : on devait les respecter, ne pas les effrayer et se mettre à leur rythme. Comme elles ne pouvaient pas tourner trop longtemps et à des heures trop chaudes, on les a beaucoup ménagées en construisant le plan de travail en fonction d’elles.

Manuel Senra avait dressé onze poules de manière différentes. J’avais ma préférée – une gentille et douce que je reconnaissais entre toutes – mais avec chacune d’elle il a fait un travail remarquable car certains gestes apparemment simples tel que demander à la poule de vous suivre comme un chien sont extrêmement difficiles à effectuer. Or il fallait que je la fasse grimper dans la voiture, qu’elle accepte de rester dans mes bras, que je lui parle, que je lui lise des textes… Pour tout cela, nous devions nous « apprivoiser » mutuellement.

C’est pourquoi j’ai passé beaucoup de temps avec elles aux essais et je les gardais volontiers entre les prises pour tisser du lien. Etre en symbiose avec elles m’aidait pour rentrer dans le personnage et dans l’histoire.

Qu’avez-vous retenu de cette expérience ?

J’ai adoré l’idée qu’on ne puisse jamais tout maîtriser face à ces partenaires à plumes. Comme avec les enfants, si vous ne parlez pas vraiment à une poule, elle ne vous répond pas. On est condamné à n’avoir que des moments de grâce avec les animaux. Cela oblige le comédien à être dans la vérité, à jouer les scènes en étant 100% engagé, à se mettre à disposition et à laisser la magie opérer. Il ne faut pas chercher à provoquer car si on force les choses, c’est comme en amour ou en amitié, ça ne marche pas. J’ai beaucoup appris en travaillant avec les poules parce que ça remet les choses à leur place, comme elles devraient toujours être. Être humble, disponible et à l’écoute comme on devrait l’être constamment avec son partenaire. Et lorsqu’on est juste, lorsqu’on atteint une certaine vérité, intuitivement, on le sait.

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